dimanche 8 juin 2014

Les états d'agitation | partie 2

CRISES DE NERFS ET AUTRES DÉBORDEMENTS
par Adeline GARDINIER
Cet article a été rédigé pour la revue Santé Mentale d’Avril 2014.

La rigidité du contexte

Ainsi, l’intensité du dérapage psychomoteur serait associée au degré de rigidité des fonctions et des rôles dont la personne tente de se désaliéner. Mais chaque tentative pour remanier les places rigides au sein du groupe créerait de violentes résistances internes chez le sujet, accentuées par l’opposition des proches. Le principe homéostasique de tout système rigide, orienté vers le maintien invariable des codes de fonctionnement, expliquerait ainsi la consistance du symptôme régulateur.

L’ampleur de l’excitation traduirait la virulence des forces d’inertie pour entraver cette réorganisation fonctionnelle et signerait, dans un mouvement opposé, l’incapacité à continuer à adhérer aux repères systémiques d’antan. Dans cette logique, certains passages à l’acte surviendraient dans un moment de révolte et de désir d’individuation signifiant chez une personne.


Christophe et le mythe de la perfection

La vie de Christophe, 67 ans, a été traversée d’épisodes dépressifs chroniques. Sa pathologie dévoile une incapacité à moduler, avec souplesse, ses choix dans ses systèmes d’appartenance. Il s’est rigidifié dans des croyances inébranlables dictant ses conduites et ne tenant aucun compte du contexte. Au fil de son parcours, ses défenses ne parviennent plus à pallier les conséquences désastreuses d’adaptations non faites. Christophe provient d’une famille obnubilée par un « mythe de perfection », qui a contrôlé, dans sa prégnance, tous les actes inadaptés de son histoire. Christophe a ainsi épousé une femme qui partage ses représentations figées. Mais une grave crise personnelle l’oblige à réorganiser ses relations à son environnement. Il apprend à construire des images légitimes, positives, acceptées de la nature défaillante de l’homme. Il ne fuit plus ses insuffisances ni celles d’autrui et les reconnaît.

Cette nouvelle dynamique le soumet non seulement à ses résistances internes mais aussi à celles de son système embourbé dans les mêmes codes d’évitement et de contrôle. Lors d’un repas familial, il souligne l’obligation de paraître et le manque de spontanéité de leurs interactions. Les réactions stigmatisantes de son entourage le font alors décompenser. Son incapacité à bousculer dans l’urgence les règles systémiques oppressantes réveille un état de détresse et d’impatience intenables. Dans un discours logorrhéique, il montre sa hâte et son irritabilité à vouloir transformer son système. De même, ses propres résistances internes au changement se greffent dans la manifestation d’une agressivité, d’une errance et d’une sorte de coup de folie. Son précipité retrait physique et psychique marque une fuite déstructurée non pas de sa famille mais des valeurs étouffantes de celle-ci.

L’état d’agitation, dans son versant excessif et incontrôlé, révèle un apprentissage sous-jacent difficile. En effet, tout symptôme débordant met en relief la tentative de démantèlement de repères rigides pour de nouvelles données. Cette intégration complexe ne peut alors s’opérer, dans un premier temps, que de manière grossière. Plus l’intériorisation du processus est difficile, plus la personne manifeste des résistances par des conduites disproportionnées. Ainsi, les troubles du comportement observés sont l’expression d’une amorce de différenciation non encore contrôlée. Les bases rudimentaires de l’autonomisation psychique se traduisent alors par un excès d’égocentrisme et d’incivilité. Dans cette perspective, l’état d’agitation est alors une libération ponctuelle d’une identité trop longtemps tue par sacrifice groupal.

La « paranoïa » de François
Ni paranoïaque, ni antisocial, François, 52 ans, a pourtant eu un comportement hétéro-agressif vis-à-vis de sa compagne et la fille de cette dernière. Cet homme mène tout d’abord pendant de longues années une existence tranquille et sans problématique relationnelle particulière. Cependant, la rencontre avec sa deuxième compagne l’engage dans des conduites incontrôlables. Après 10 ans d’une union conjugale apparemment sereine, François fustige sa compagne et sa belle-fille des pires insultes et les menace d’un couteau. Cette décompensation soudaine a lieu alors que sa compagne et sa belle fille sont allées ensemble au restaurant.

À l’hôpital, François est rapidement étiqueté « personnalité paranoïaque et dépendante ». Pourtant, l’analyse du système familial montre un mouvement furtif d’émancipation de codes systémiques intenables. Depuis son union, François doit en effet respecter une fonction bien établie dans la famille et en particulier accepter la relation symbiotique entre sa compagne et sa belle-fille, ce qui implique le renoncement à un espace d’intimité conjugale. Son attachement trop fusionnel, dans ce lien amoureux, l’a conduit à taire ses choix personnels pour se soumettre à des règles maritales contraignantes.

Par ses actes inadaptés, François a finalement exprimé la rébellion saine d’un homme qui aspire à se désengager d’une position trop figée et dépersonnalisante. Ce soir-là, il a été contraint de dîner seul tandis que la mère, la fille et le père de celle-ci étaient ensemble au restaurant. À leur retour, François est rentré dans une fureur hystérique et dangereuse. Cette affirmation tardive, nouvelle et culpabilisée a ainsi pris les apparats du drame illégitime car elle s’introduisait comme nouvelle donnée dérangeante dans un paysage établi. Le caractère agressif du mouvement d’affranchissement a alors dénoncé sa trop longue retenue et sa nature encore non assumée dans l’excès de son expression.

Un sujet qui montre des réactions disproportionnées met ainsi en évidence son manque de différenciation par rapport à son système premier. Il exprime alors, excessivement, des choix individuels trop gravement censurés dans le système originaire. Par exemple, une personne hyper responsabilisée dans son système primaire régresse fortement dans les divers espaces où elle peut s’exprimer plus librement. Le non-reconnu devient exigeant et capricieux, le carencé affectif extrêmement étouffant. Le trop passif se fait persécuteur.

La suite la semaine prochaine (partie 3)...



Pour relire la première partie de cet article :
http://adeline-gardinier.blogspot.fr/2014/05/les-etats-dagitation-partie-1.html

Mis en ligne avec l'aimable autorisation d'Adeline Gardinier-Salesse