dimanche 2 novembre 2014

LA PRATIQUE DE L’ART-THÉRAPIE EN TANT QUE SOIN PSYCHIQUE (2)

Béatrice Constantin-Mora, art-thérapeute analytique en Dordogne


L’acte, tout d’abord, de s’autoriser à penser une pensée qui n’aurait pas pu être supportable quelques temps auparavant et oser la prolonger dans un geste qui vient inscrire une trace dans la matière. Oser ce geste, c’est s’exposer au possible d’une trouvaille, à un non savoir immédiat. Je pense que l’acte soignant en art-thérapie se trouve beaucoup dans cet écart qu’il y a entre ce qu’un patient s’autorise à penser, à être et une mise en forme concrète avec la matière, en présence d’un autre, dans un cadre suffisamment défini pour qu’il soit fiable et digne de confiance. Pour l’essentiel, un  atelier, en tant que « lieu d’expérimentation[5] » qui tient lieu « d’éprouvette psychique ». 

En cela, pour respecter et garantir les productions inconscientes du sujet, je pense qu’il n’y a pas nécessité d’exposer  ces rebu(t)s, ces ratés du langage aux yeux d’un public. Le patient en atelier d’art-thérapie n’est pas un artiste, il s’essaye avant tout à devenir un sujet, à faire le tri dans le trop plein ou à recoller les morceaux d’un puzzle avec sa propre vérité, son propre style, à l’abri des normes esthétiques, normatives et autres critères de jugement. Ceci dit, ce jeu créatif avec la matière peut se prolonger comme je le constate chez certaines patientes, par la pratique d’une activité artistique seule ou en atelier. Et pourquoi pas en vue d’exposer.

La démarche est ici créative au sens winnicottien, et non artistique. Un artiste s’est suffisamment détaché de son œuvre pour pouvoir la soumettre au regard d’un public, et à son appréciation, en vue de la vendre. L’atelier d’art-thérapie est tout aussi indiqué pour un artiste en panne d’inspiration ou dans un passage compliqué de sa vie.

L’art-thérapeute se laisse travailler par la relation au patient lui-même et celle de ce dernier avec l’objet au cours du processus créatif, ici et maintenant. Pour reprendre Winnicott[6], il est lui aussi en situation de jeu[7],  il a l’expérience de cette situation de création à visée thérapeutique, et continue à mener une analyse de ses propres productions inconscientes, en vue d’éviter de se laisser embarquer du côté de la fascination que peut procurer l’objet, garder le cap de son propre désir et garantir ainsi celui du patient. D'où l’importance des temps de supervision.

Ce triptyque patient/thérapeute/matière ou objet a ceci de différent d’une thérapie purement verbale que le thérapeute n’est pas le seul destinataire du transfert, qu’un autre lieu peut en devenir  le dépositaire. Un peu comme une réactivation du stade du miroir, cet objet, de l’état transitionnel, se transforme en objet relationnel[8]. En présence de l’art-thérapeute,  ou en co-création, c’est bien Mme A. ou Mr R. qui est en train de mettre en acte, d’agir sur et avec sa propre matière inconsciente.

Le sens naît dans un second temps, à partir de ce que le patient a ressenti au cours du processus de création et des associations liées à l’expression symbolique de l’objet crée. L’art-thérapeute l’accompagne dans ces différents niveaux de symbolisation, qu’ils soient sensoriels, verbaux ou en résonance avec une image.

Quel que soit l’objet crée, il surgit d’un élan, d’une impulsion qui se fait nécessité. Il  ne peut que très difficilement être rationalisé. Et si analyse, il y a, elle ne peut pas se faire avant que le sujet n’ait réceptionné d’abord pour lui-même ce qu’il vient de produire. Suite à la réalisation de cet objet chargé d’émotion, un temps est nécessaire pour que le sujet réalise ce qu’il a fait et que c’est lui qui l’a fait.

En disant cela, je souhaite orienter mon propos vers un parti pris et un souhait, qui me semblent être un engagement envers les personnes qui s’adressent à nous dans notre société contemporaine, c’est que l’art-thérapie et les art-thérapies concordent vers une pratique de singularité, de re-subjectivation ayant en cela une fonction humanisante plutôt que normalisante.

Dans cette orientation, on peut faire des ponts, des passerelles, entre des pratiques diverses, mais qui tiennent pour essentiel le désir du patient et celui du thérapeute, comme intention de soin et de prendre soin.

Et pour terminer, je pense que les divergences théoriques, voire idéologiques ne sont pas un frein à la reconnaissance de cette profession, mais bien un terreau fertile car elles démontrent la vivacité, la dynamique dans ce domaine. Elles valent mieux, à mon avis, que l’uniformisation du savoir et des pratiques. On peine parfois à s’y retrouver, mais c’est vivant, incarné, créatif.

Cependant, ces discussions et ces débats restent peut être trop confidentiels et ne touchent qu’une infime portion de toutes les personnes susceptibles d’être concernées par l’art-thérapie, à commencer par les patients eux-mêmes ou des proches de personnes en difficulté.

Oui, un diplôme d’état permettrait une légitimité et une vraie reconnaissance auprès du public et des institutions. Attention toutefois que cela ne privilégie pas la forme sur le fond. On a vu à quoi l’évaluation des « bonnes » et des « mauvaises » pratiques a abouti, notamment dans le secteur social et médico-social.

De plus, les secteurs « psy » qui ont pignon sur rue sont-ils prêts à se laisser concurrencer par cette « petite » art-thérapie qui viendrait poser ses médiations dans leur pré carré ? Le passage, en ce qui me concerne, du salariat au libéral en tant qu’art-thérapeute analytique me permet de constater que les débats d’idées tournent court quand il s’agit de garder sa patientèle. Quelques psychologues et psychanalystes me démontrent heureusement le contraire, mais la tendance serait plutôt à la porte fermée et au chapelet d’ail.

J’arrive au terme de cet article et je vous remercie de m’avoir lu jusqu'au bout.

« Art-Thérapie », ce mot est certes peu facile à porter et à colporter, mais il ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt des praticiens, des chercheurs, des auteurs qui, quel que soit leur orientation clinique, ouvrent une porte vers la créativité comme remède à la perte de liens dans notre société contemporaine.

Alors, c’est peut être une influence de la Dordogne, mais quand je vois ces traces humaines, animales ou végétales âgées de 40 000 ans, je me dis que l’art-thérapie a de beaux jours devant elle !





[5] Jean-Pierre Royol, « Quand l’inaccessible est toile », Edition Broché, 2008
[6] « Jeu et réalité », L’espace potentiel, Collection Connaissance de l’inconscient, Gallimard, 1971
[7] P 55, « Jeu et réalité »
[8]  P 81, Guy Gimenez, « Les objets de relations », « Les processus psychiques de la médiation », Dunod

Je remercie Béatrice Contantin-Mora pour son apport à l'Association de Recherche en Art et Thérapie.