Comment s’invente une maladie ? Une telle question peut heurter, non pas seulement les adversaires opposés à toute lecture constructiviste de l’histoire des maladies et de la médecine plus généralement, mais un sens commun qui veut que la maladie désigne un état, et sa désignation un discours. On connaît la querelle autour de ce que Bruno Latour avait énoncé au sujet de Ramsès : le célèbre pharaon ne pouvait, contrairement à des thèses récentes, être mort de la tuberculose, cette maladie n’ayant été découverte qu’au XIXe siècle…  Que signifie l’idée que l’hystérie fut inventée « au temps des Lumières », énoncé qui compose le titre d’un ouvrage de plus de trois cents pages sur ce sujet ? Les éléments d’une réponse à cette interrogation sont patiemment et méticuleusement apportés par Sabine Arnaud, l’auteure de ce même ouvrage.


 Le titre attire d’entrée de jeu notre attention car, qu’il s’agisse de romans, d’essais ou autres traités, ce dernier constitue justement la première invitation à entrer plus en profondeur dans l’ouvrage. L’invention de l’hystérie au temps des Lumières (1670-1820) suggère une manière de reprendre l’histoire de cette maladie en déployant une approche critique de l’histoire de la médecine. Retenons d’abord la méfiance ou la prudence envers toute acception naturaliste de la maladie, en l’occurrence d’une maladie qui occupe dans l’histoire de la médecine une place particulière : l’hystérie. La facilité consisterait à en accepter une naturalité qui, dès l’époque d’Hippocrate, se trouve régulièrement évoquée. Qu’est-ce qui fait inventer, se réinventer, se transformer sans cesse une entité nosologique si difficile à cerner et à traiter en conséquence ? La périodisation choisie par l’auteure est d’importance : le « temps des Lumières », entendu ici comme une période qui  s’étend, au-delà des acceptions les plus communes, bien en amont et en aval du XVIIIe siècle. D’abord parce que les Lumières, aux dires de nombreux historiens et philosophes, trouvent leur éclosion dès le XVIIe siècle, et connaissent divers prolongements au-delà du siècle suivant. Ensuite, parce que l’histoire de la médecine connaît un rythme qui ne rentre pas nécessairement dans les grilles de datation relatives à une histoire événementielle (grandes découvertes, inventions, coups de théâtres, révolutions), et cette distension, qui est une des formes principales de l’histoire de la médecine, offre un prisme à partir duquel relire les Lumières. À l’intersection de la tradition et de la modernité (médecine issue de l’hippocratisme et médecine contemporaine des Lumières), du physique et du moral (manifestations et affections corporelles, manifestations mentales, imagination), du normal et du pathologique (entre mode, affectation et affection, maladie, entre manière d’apparaître, d’exister auprès d’autrui et souffrances), enfin de différentes maladies ou affections (manie, mélancolie, vapeurs, etc.), l’hystérie offre un prisme pertinent pour reprendre une histoire de la médecine et des maladies.