mercredi 9 septembre 2015

Le lac de Peirce : une métaphore de la conscience

 Le lac de Peirce : une métaphore de la conscience
samedi 22 août 2015, publié par Michel Balat

                Le lac de Peirce : une métaphore de la conscience

Extrait du Tome VII des Collected Papers of Charles Sanders Peirce
Traduction de Laurence Fanjoux-Cohen et Thomas Chevrier

7.553. Pour une fois, nous allons choquer les psychologues physiologistes en tentant non pas une hypothèse sur le cerveau mais en faisant la description d’une image qui correspondra point par point aux différentes caractéristiques du phénomène de conscience. La conscience est comme un lac sans fond dans lequel les idées sont suspendues à différentes profondeurs. En effet, ces idées constituent en elles-mêmes le milieu propre de la conscience. Les percepts seuls restent à la surface de ce milieu. Nous devons imaginer qu’il pleut continuellement sur le lac et que cette pluie ressemble au flux ininterrompu de nos perceptions. Toutes les idées autres que les percepts sont à plus ou moins grande profondeur et nous pouvons supposer qu’il existe une force de gravitation telle que plus les idées sont profondes plus le travail pour les amener à la surface sera important. Ce travail virtuel, que les mathématiciens appellent « les potentiels » de particules est le négatif de « l’énergie potentielle «  ; et l’énergie potentielle est la représentation du degré de vivacité de l’idée. Nous pourrions aussi bien dire que le potentiel, ou la profondeur, représente la qualité de concentration nécessaire pour distinguer l’idée à cette profondeur. Et on ne doit pas penser qu’une idée doit être réellement amenée à la surface de la conscience pour être discernée. L’amener à la surface de la conscience reviendrait à produire une hallucination. Non seulement toutes les idées ont tendance à graviter vers le néant, mais on peut imaginer que nombre d’idées réagissent les unes avec les autres selon des attractions sélectives. Cela illustre les associations entre les idées qui tendent à les agglomérer en idées uniques. De même que notre idée de distance spatiale consiste dans le temps qu’il faudrait, avec un effort donné, pour passer d’un objet à un autre, de même la distance entre les idées est mesurée par le temps qu’il faudrait pour les combiner. Ainsi si l’on cherche le terme français pour shark ou linchpin, le temps nécessaire pour retrouver le mot oublié dépend de la force d’association entre les idées des mots anglais et français et de circonstances qui naissent de l’écart entre les deux mots. Ceci, je dois l’avouer, est excessivement vague ; aussi vague que le serait notre notion de distance spatiale si nous vivions au sein de l’océan et étions démunis de quoi que ce soit de rigide pour prendre des mesures, étant nous-mêmes de simples portions de fluides.

 7.554. La conscience est plutôt comme un lac sans fond dans lequel les idées sont suspendues à différentes profondeurs. Les percepts seuls restent à la surface de ce milieu. La signification de cette métaphore est que les idées qui sont les plus profondes ne sont discernables que par un grand effort et maitrisables par un encore plus grand effort. Ces idées en suspens au sein de la conscience ou plutôt constituant elles-mêmes le fluide sont attirées les unes les autres par des habitudes et des dispositions associatives, -ces premières en association par contiguïté, ces dernières en association par ressemblance. Une idée qui est près de la surface n’attirera une idée qui est très en profondeur que dans les rares cas où l’action s’exercera suffisamment longtemps pour que cette dernière soit amenée à un niveau de discernement aisé. Dans le même temps, la première s’enfonce dans une conscience imprécise. Il semble qu’il y ait un facteur comme une force d’entraînement qui fait que l’idée qui était originellement imprécise devienne plus vivace que celle qui l’a attirée. De plus, l’esprit n’a qu’une surface limitée à chaque niveau ; dès lors faire remonter une masse d’idées implique inévitablement en faire descendre d’autres. Un autre facteur encore semble être une sorte d’agglomération ou d’association avec toute idée vivante, comme c’est le cas pour ces idées que nous nommons des buts. Selon ce principe, ces idées visant un but déterminé auront particulièrement tendance à émerger et à être retenues à la surface par le flux des perceptions entrantes et à retenir ainsi avec elles toutes les idées qui leur seraient associées. Le contrôle que nous exerçons dans le raisonnement de nos pensées consiste à vouloir maintenir à la surface certaines pensées où elles peuvent être examinées attentivement. Les niveaux des idées facilement maitrisées sont ceux qui sont si près de la surface qu’ils sont fortement affectés par nos buts immédiats. Cette métaphore est vraiment pertinente.