lundi 9 novembre 2015

Bonnafé et l’électrochoc : un électrochoc !


Je ne sais si j’ai déjà mis sur ce blog quelque chose de Lucien Bonnafé mais, au contact de ses écrits j’ai appris la radicalité. Ce texte court me semble symbolique de sa démarche. Comme toujours la quête du sens impose une cassure dans la syntaxe classique qui est malheureusement la mienne, ce qui rend la lecture de Bonnafé un peu ardue. Il ne se bat pas pour le plaisir de la forme, mais pour le plaisir de la dialectique qui globalise la pensée quand de phrases en phrases nous la saucissonnons. JP Damaggio

A propos d'électrochoc (22 février 1999, L'Humanité)
Par LUCIEN BONNAFÉ Psychiatre.
 
« N'oubliez pas l'oubli » Sigmund Freud
 ON lit dans «l'Humanité» du 13 février une curieuse intervention, signée d'un médecin qui n’est sûrement pas d'âge à parler d'électrochoc autrement que par ouï-dire. Il s'agit d'un modèle exemplaire de « parole déversoir», quand on parle de ce que l'on connaît le moins avec le plus d'autorité pour sortir ce qu'on a sur le cœur et l'estomac. L'électrochoc atteint le «Moyen Age» dans l'illustration de ce modèle mental. Comme il est d'usage de parler du «Moyen âge» pour esquiver les barbaries de notre âge, il est devenu ordinaire de parler de l'électrochoc comme «barbarie» quand ça sert à esquiver une réalité historique troublante, les carences de relation humaine dans trop de pratiques contemporaines.
 
L'OUÏ-DIRE dont il s'agit porte un sens : c'est d'esquiver la vérité historique qui domine l'histoire de l'électrochoc. Cette technique, si efficace qu'elle inspira le premier triomphalisme psychiatrique, fut très ordinairement utilisée dans les renfermeries garderies qu'étaient les hôpitaux psychiatriques français avec une barbarie qui est ce qu'il s'agit d'effacer des mémoires, avec le déplacement sur une «barbarie» attribuée à l'électrochoc lui-même. Il est plus convenable de masquer que de voir les convulsivothérapies en série dans un contexte traumatisant qui fut un des plus puissants motifs pour nous pousser à « détruire ce système pour bâtir son contraire sur ses ruines ». Ce fut un grand moteur de notre passion d'innovation. Ça empirait sur l'inhumanité avec laquelle les «chocs» précédents, qui consistaient en traitement par la fièvre, avaient perdu leur efficacité en se routinisant, dans la méconnaissance du grand principe que la psychiatrie est par définition corrélation de toute autre activité thérapeutique, biologique, électrique ou chimique, avec science et art de l'écoute et de l'écho aussi raffinés que possible.

MAIS le fait est que la pauvreté contemporaine dans l'application de ce principe mène à appliquer à un enfant sur six une thérapeutique chimique contre les cris et les larmes ; et qu'il y a là, côté concurrence avec la chimie, de quoi éclairer les motifs pour lesquels il faut faire précéder par une anesthésie chimique l'application de l'électrochoc, qui est lui-même un fort anesthésiste ; ce qui va avec le fait qu'il est tout à fait indolore, réalité « oubliée» dans les manipulations émotionnelles par la « parole-déversoir ». La vérité historique est que cette technique efficace qui engendra le premier triomphalisme psychiatrique, fut presque abandonnée à partir du moderne triomphalisme, résultant du progrès que furent les chimiothérapies modernes, en 1952 ; et que ce fut bien longtemps avant l'émergence du climat antipsychiatrique. Elle était si efficace que, quand on l'appliquait correctement, dans une relation très épanouissante avec le patient à son réveil, notre problème était de pallier les demandes excessives des patients, qui en demandaient trop, tant ça leur faisait du bien. Mais se servir de l'effet émotionnel du mot «électrochoc» pour ne pas poser le grand problème contemporain d'une chimiothérapie qui pose d'une façon plus préoccupante, parce que plus subtile, le même problème, l'inépuisable question de l'écoute et de l'écho, dans le contexte relationnel, n'est pas fait pour cultiver les aptitudes des patients à une efficace relation médecin-malade.
Il vaut mieux que les usagers de la médecine sachent que, dans toute thérapeutique, la manière de s'en servir est toujours très déterminante, vérité qui a son comble en psychiatrie, où les drogues modernes ont une efficacité variable de façon spectaculaire, selon le contexte. C'est le même problème que celui de l'électrochoc.
 
 http://la-brochure.over-blog.com/article-bonnafe-et-l-electrochoc-un-electrochoc-112778736.html