mardi 10 janvier 2017

Psychose du post-partum : quand l'accouchement rend folle !


© Photomontage Prod Istock

Chaque année, des centaines de jeunes mères souffrent de bouffées délirantes pendant quelques jours ou quelques semaines. Un enfer qui, bien pris en charge, se surmonte. D'où l'importance d'en parler.

Lorsqu'elle compose le 15, sans réveiller son compagnon, en pleine nuit, enfermée dans les toilettes de son appartement, Joséphine, 34 ans, ne dort plus depuis plusieurs jours. Elle a des hallucinations auditives, entend les pleurs de son bébé avant qu'il ne se réveille, sent des ondes magnétiques balayer son cerveau, imagine qu'elle pourrait lire dans les pensées des autres. « Le coordinateur du Samu, à Paris, m'a dit de foncer aux urgences psychiatriques de Sainte-Anne, raconte-t-elle. Là-bas, on m'a donné un Xanax, j'ai dormi quatre heures. J'y suis restée deux semaines. »


Joséphine n'avait jamais eu de trouble psychiatrique, avant un accouchement supplice de vingt-deux heures, où elle sentit son esprit vaciller. « Sous l'effet de l'épuisement et de la douleur, j'ai vu mon corps et mon esprit se dissocier, confie-t-elle. Dans les jours qui ont suivi, j'avais beaucoup de mal à m'occuper de ma fille, je dormais très peu, j'étais traversée de crises de pleurs et de bouffées délirantes. Je me demandais : 'Est-ce normal de penser ça ?' »

« LE DÉLIRE PEUT S'ACCOMPAGNER D'HALLUCINATIONS VISUELLES OU AUDITIVES »

Ce genre de délire est la manifestation la plus spectaculaire de ce que l'on appelle la psychose du post-partum (ou psychose puerpérale), un syndrome étonnamment méconnu du grand public. Près de deux femmes sur mille sont concernées, le plus souvent dans les deux semaines qui suivent l'accouchement, parfois au-delà. Cela dure de plusieurs semaines à quelques mois, vingt-quatre heures seulement dans de rares cas. Cette version aiguë, terrible et mal connue de la déprime postnatale, se distingue du baby blues, plus courant, vécu, selon les études, par 50 % à 80 % des femmes, et de la dépression, plus ou moins grave, ressentie par 15 % d'entre elles dans l'année qui suit. « Le délire peut s'accompagner d'hallucinations visuelles ou auditives, explique Jacques Dayan, psychiatre (1). Il arrive que les mères pensent que leur bébé est mort ou qu'on le leur a enlevé, elles entendent des voix murmurant qu'il n'est pas leur enfant, qu'il est le fils de Dieu ou du diable, qu'elles sont de mauvaises mères. Elles sont souvent incapables de se confier à leur entourage. Dans les cas les plus extrêmes, le délire peut aboutir à un infanticide ou à un suicide. C'est pourquoi il est une urgence psychiatrique absolue. » Si elle est plus fréquente chez des femmes qui souffrent déjà de troubles psychiatriques (30 % des cas), elle survient aussi sans antécédents psychiatriques. Son origine reste incertaine, les explications proposées par les spécialistes sont aussi bien d'ordre hormonal, génétique que psychologique.

« PARFOIS, C'EST UN ACCOUCHEMENT DIFFICILE, UNE NAISSANCE PRÉMATURÉE QUI SUFFIT À LES PLONGER DANS UNE PERPLEXITÉ ANXIEUSE ET DÉCLENCHE LA DÉCOMPENSATION ET LE DÉLIRE. »

« Selon une interprétation psychanalytique, le délire naît de l'impossibilité de symboliser un événement, comme le fait d'accoucher ou de devenir mère », décrypte Sarah Stern, psychiatre et psychanalyste, qui a exercé pendant douze ans en maternité à Saint-Denis (93). « Cet événement a eu lieu, mais ces femmes ne peuvent pas en accuser réception psychiquement, explique la Dr Stern. Elles sont désemparées et ne parviennent pas à investir leur bébé, car il reste un étranger. Elles ne ressentent pas le lien, ce qui engendre souvent une grande angoisse et une forte culpabilité. » Ces difficultés peuvent se nourrir d'une discontinuité, d'un blanc dans leur histoire ou dans leur filiation : elles ont été adoptées et ne le savaient pas, elles ont été confiées très tôt à une grand-mère, ont subi un abus sexuel... « Parfois, c'est un accouchement difficile, une naissance prématurée qui suffit à les plonger dans une perplexité anxieuse et déclenche la décompensation et le délire. »

« JE N'ARRIVAIS PAS À ME SENTIR MÈRE. »

Julie avait 29 ans et déjà deux filles lorsqu'elle est tombée enceinte de ses jumelles. Épuisée par sa grossesse, elle sollicite une naissance par césarienne, un mois avant le terme. Hémorragie, syncope, réanimation... L'opération se passe mal et la véritable rencontre avec ses filles n'a lieu que deux jours plus tard. Elle se reproche impitoyablement d'avoir souhaité cette naissance anticipée. « Je n'arrivais pas à me sentir mère. Je ne pouvais pas donner le bain à mes bébés car les voir nues dans l'eau me rappelait que j'aurais dû les garder dans mon ventre un mois de plus. » Son délire explose lorsqu'elles sont hospitalisées à l'âge 2 mois pour une bronchiolite. « C'était la confirmation que leurs poumons étaient fragiles car je les avais sorties trop tôt. » Elle fait plusieurs tentatives de suicide en avalant des médicaments et se taillade le ventre avec des lames de rasoir. « Je voulais effacer mes vergetures de grossesse, car je ne méritais pas de garder sur mon corps les signes que j'étais mère, confie Julie. Je ne sentais plus la douleur. J'étais certaine que ma famille serait mieux sans moi, sans mon angoisse. » Avec le recul, Julie se décrit comme hors d'elle-même. Une détresse terrible, qu'elle dissimule, en partie, à son entourage. « L'adhérence au délire est très forte, souligne Sarah Stern. C'est pourquoi il faut d'abord le diminuer avec des médicaments, voire envisager une séparation temporaire avec l'enfant. Ensuite, il faut aider les mères à remettre de la continuité dans leur histoire : avec un travail psychique, elles reconstruisent un lien très chaleureux avec leur bébé. »

Suivie en psychiatrie à domicile après ses tentatives de suicide, Julie a eu le sentiment d'être enfermée dans une image de « folle », sans que ses difficultés maternelles ne soient réellement questionnées. Même sentiment pour Joséphine lors de son passage « très dur » en psychiatrie adulte. C'est en intégrant, plus tard, une unité mère-bébé pendant six semaines qu'elle a réussi à apprivoiser son anxiété. « Je parlais avec un psy une heure par jour, j'ai pu construire le lien avec ma fille, qui dormait le soir en pouponnière. J'étais accompagnée pour lui donner les soins. L'équipe m'a aidée à comprendre que mon état était transitoire, que je devais accepter de le traverser pour en sortir. »

On compte seulement une vingtaine d'unités de psychiatrie mère-bébé (2), permettant l'hospitalisation de la mère et de son enfant. « La France et le Royaume-Uni sont les deux pays les plus en pointe, mais les places se réduisent dans une psychiatrie déjà sinistrée, résume Jacques Dayan. Malgré les avancées de ces vingt dernières années, le psychique chez la femme est souvent considéré avec dérision ou fatalisme. Ses manifestations émotionnelles sont essentiellement envisagées comme d'origine hormonale : une forme moderne de préjugés anciens. »

« IL FAUT PERMETTRE AUX MÈRES BOULEVERSÉES PAR LA PEUR DE FAIRE DU MAL À LEUR BÉBÉ DE S'EFFONDRER SANS S'ANÉANTIR. »

Nadège Beauvois-Temple, fondatrice de l'association Maman blues, insiste sur l'importance de comprendre l'impuissance à se sentir mère : « Ces femmes ont une maternité à construire. Ce n'est pas parce qu'on décompense qu'on est une mauvaise mère. Les horreurs qu'elles ont pu dire ou penser sont une exagération des inquiétudes qui traversent toutes les jeunes accouchées : vais-je réussir à m'en occuper ? Va-t-il m'aimer ? Vais-je l'aimer ? Les délires tournent souvent autour d'histoires de vie ou de mort : le bébé est le diable, il faut le tuer, on va l'empoisonner... Elles sont bouleversées par l'inquiétude et la culpabilité, la peur de faire du mal. Il faut leur permettre de s'effondrer sans s'anéantir. »

D'autant que, sous traitement, « le pronostic de la psychose post-partum à court terme est bon, assure Jacques Dayan. Même si des rechutes sont possibles et que des symptômes isolés persistent parfois pendant plusieurs mois. Le taux de récidive lors d'une nouvelle grossesse est évalué à un tiers ». On peut néanmoins le prévenir efficacement par un suivi psychologique et/ou médical.

Les femmes qui sont passées de l'autre côté du miroir gardent parfois un sentiment de traumatisme. « Comme après un accident de voiture », métaphorise Sarah Stern. Elles doivent reconstruire leur confiance en elles et retrouver celle de leurs proches. La femme de Jérôme, 34 ans, vient de reprendre le travail après avoir passé trois semaines en unité mère-bébé. Leur fille de 5 mois est « calme, souriante », malgré la tempête qu'ils ont traversée. Lui raconte sa peur et sa colère, se souvient de son angoisse quand il les laissait seules. Elle, dès les premiers jours à la maternité, ne dort plus, a des réminiscences très violentes d'une tentative d'agression sexuelle subie dans son enfance, se sent perdre pied avec la réalité jusqu'à croire que son mari est mort... Celui-ci a eu le réflexe salutaire de chercher du soutien autour de lui. « À ma grande surprise, beaucoup de collègues avaient rencontré des difficultés à la naissance d'un enfant », raconte-t-il. Pour sa compagne, c'est plus difficile. « Souvent la honte empêche ces femmes de se confier. Une dépression est plus facile à avouer, elle est beaucoup plus codifiée et acceptable socialement, souligne Nadège Beauvois-Temple. D'autant que ces mères sont souvent dans une forme d'idéalisation de leur rôle, qui prend la forme d'une exigence de perfection très vive. » Peut-être aussi parce qu'elles baignent dans des images sociales standardisées et hors sol de maternité forcément radieuse. Une autre forme de délire, collectif.

1. Auteur du Que sais-je ? « Les Baby-blues » (éd. Puf).

2. Liste des unités sur marce-francophone.fr

Merci à Florence Gressier, psychiatre, responsable de l'unité mère-bébé de l'hôpital du Kremlin-Bicêtre (94).

« CELA RESTE UN SUJET TABOU »

Dans « Post Partum », sorti en 2014 en Belgique, la réalisatrice Delphine Noels met en scène de façon très crue la descente aux enfers d'une mère (Mélanie Doutey) en proie au délire. Interview.

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© Prod'

ELLE. « Post Partum » est votre premier film, c'est un sujet sombre...

Delphine Noels. L'idée est née d'une conversation avec ma mère, qui m'a avoué que mes pleurs de bébé la plongeaient dans une urgence terrible, comme si un événement dramatique, une catastrophe nucléaire menaçait ma vie. Puis elle a eu un accident à l'oeil et ses angoisses se sont dissipées : la catastrophe était tombée sur elle. J'ai voulu me représenter cette plongée dans le délire en rencontrant des psys et des mères qui l'avaient traversé.

ELLE. Le film est très explicite...

Delphine Noels. J'ai écrit le scénario en pensant qu'il ne serait pas produit, je me suis donc très peu censurée. Je pense que cela reste un sujet tabou. Ces mères ont honte et n'osent pas en parler car elles ont peur qu'on leur retire leur bébé. C'est dramatique pour elles, cela les renvoie aux clichés de la femme folle. Je dis « femme », mais j'ai aussi vu des hommes fuir dans le délire après la naissance d'un enfant.

ELLE. Vous êtes devenue mère à la fin de l'écriture du scénario, comment a-t-il changé votre regard sur la maternité ?

Delphine Noels. J'ai pu l'accueillir avec ses gloires et ses misères, un peu libérée des injonctions à la perfection. Ma mère a traversé cet épisode et je ne me sens pas victime, je n'ai pas de colère en moi. Elle m'a transmis beaucoup de choses, le lien entre nous est très fort. Elle a reçu le film comme une déclaration d'amour.

Cet article a été publié dans le magazine ELLE du 23 décembre 2016. Abonnez-vous ici.

Publié le 4 janvier 2017 à 10h35
http://www.elle.fr/Societe/News/Psychose-du-post-partum-quand-l-accouchement-rend-folle-3406838